Les miettes d'hier
Gertrude nous le serinait presque chaque jour: "A tout malheur refus est bon." J'avoue qu'il m'en aura fallu, des années, pour enfin comprendre le sens de ces quelques mots. "Mais oui, mais oui..." qu'on lui disait, nous quatre, quand elle tentait d'amorcer une explication. Mais nous étions jeunes et elle aurait du savoir que seule l'expérience permet de comprendre ces choses là. Personne ne l'écoutait, on avait plutôt l'oreille vissée à notre poste à longueur de journée, passant de petits minets brillantinés au dernier groupe trash qui faisait polémique.
Et Gertrude qui partait dans ses délires acides et sans concession. Il nous est arrivé plus d'une fois de la prendre pour folle, elle finissait ses longs monologues en ramassant les miettes traînant encore sur la vieille table de bois. Elle allumait une cigarette et là, le silence se faisait. Elle était capable de ne plus rien dire pendant des heures et des heures, fixant le va et vient incessant de la rue. Je me demandais parfois à quoi elle pouvait bien penser ainsi prostrée.
Mais aujourd'hui, tout a changé.
Aujourd'hui nous nous sommes rendus à l'enterrement de Gertrude.
Cuisine à l'anglaise
M' hysteria
La lettre (je suis, part. 1)
Avec juste un peu d'encre, on peut s'en dire des choses, tous. Comme la lettre qu'attendaient impatiemment nos grand-mères de leur petit ami durant des jours et des jours. Comme celle tout à fait inattendue d'une vieille amie décidant de venir nous rendre visite à l'automne prochain. Comme celle écrite avec amour d'une mère esseulée à ses enfants vivant trop loin. Comme celle aventureuse du petit voisin décidant un beau jour de nous déclarer sa flamme....
Mais toi, tu en attends quoi, de cette lettre?
Raiponce
J'aimerais que tu grimpe les marches quatre à quatre pour venir me retrouver dans le grenier. Dans ce vieux grenier poussiérieux remplis de cartons d'anciens bibelots et de malles pleines de vieux bouquins dont les pages jaunies commencent lentement à moisir. Et leur odeur particulière. Tu la connais?
C'est dans cette atmosphère suffocante que je te réciterai des banlités apprises par coeur. Et toi tu me regarderas. Tu auras l'air étonné. Tu auras à tout jamais l'air étonné. Tu sauras pas quoi dire, alors tu riras. Et je te passerai la main dans les cheveux. Je les tirerai un peu. Exprès. Tu voudras ouvrir la petite fenêtre, mais ça fait des années qu'elle est bloquée. Alors tu pesteras. Et tu me feras l'amour.
Les vacances de Jean
Jean était rentré plus tôt que prévu. Un bouquet de fleurs à la main, il s'avança rapidement dans l'allée. Le chien était couché sur la terrasse, profitant paresseusement des derniers rayons de soleil comme à son habitude.
Il songea un instant aux quelques semaines qu'il avait passé loin de tous. Le dépaysement d'une région déserte du sud de l'Italie en plus. Un jour, c'est sûr, il partirait définitivement. Sans rien dire à personne. A la manière d'un minable voleur sans ambition essayant de s'emparer de son propre temps.
Un temps de merde qu'ils avaient annoncé. Une fois de plus ils se trompaient.
Farfouillant dans le fond de sa poche à la recherche de son trousseau de clefs, ses doigts agrippèrent instinctivement deux petites pilules...
Il les avait oubliées.
Il jeta alors les fleurs par-dessus la haie.
Tourna les talons.
Héla un taxi afin qu'il l'emmène au centre-ville.
Se paya un billet de train pour Berlin.
Et couru se jeter par-dessus le premier pont qu'il croisa.
Les vacances sont finies, Jean...